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19 juillet 2012 4 19 /07 /juillet /2012 22:47

L’heure africaine

C’est le décollage le 18 juillet de cette année 2012 à Ouagadougou au Burkina Faso. Sous l’œil goguenard du soleil.

Il me faut donc pourtant quitter une nouvelle fois cette terre africaine. Partir pour revenir. La loyauté souriante du partage irrigue les jours vécus ici, c’est la loi, c’est un choix !

L’avion s’arrête brutalement après quelques secondes d’accélération sur le tarmac : « Une personne traversait la piste avec une chèvre » commente amusé le commandant de bord. Nous repartons et la gigantesque toile d’araignée urbaine qu’est devenue Ouaga tente vainement de retenir l’avion au sol mais l’appel du  ciel est plus fort, le Burkina doit me relâcher quelques mois, c’est ainsi.

Ce fut bref, intense et lent. Le temps est gargantuesque, disais-je au Pérou, il l’est ici également ! Mangeur invétéré, il engloutit heures et minutes, jours et siècles, tout ce qui lui passe sous la langue veloutée est bon à prendre, il est ventru, « bedonnard » dirait-on ici, la peau de sa panse est élastique comme celle d’un anaconda avaleur de veau. Une visite chez un ami peut devenir un voyage de deux jours, des funérailles durer trois semaines et un « J’arrive tout de suite » au téléphone nécessite au bas mot une heure voire deux…

Les mauvais jours de nuits trop emmoustiquées ou de ventilo immobile, l’heure africaine parfois agace l’Européen car elle ne sait pas dire non ; c’est  comme ça, toute opportunité peut dévier le chemin initialement tracé ou occasionner maintes escales devenues à l’instant incontournables même si cela provoque obligeamment du retard à la parole donnée, un sacré différé avec le programme prévu. Pourtant, trop s’irriter nuit gravement à la santé et s’avère vain car les logiques différentes s’accommodent et la ponctualité sonne moins faux si on lâche prise ! Le mot est lâché, vivent les escapades !

 

Nous sommes immortelles

« Nous sommes immortelles, tintinabullent tout autour de mon cœur les belles minutes burkinabè, dénichées au creux d’un repas, d’une veillée, d’une rencontre, d’un trajet en car, nous sommes immortelles ! Nous sommes immortelles ! De mille façons nous savons depuis 1989, ta première venue, habiller tes émotions ! Epaissir ton sang, alléger ton pas ? C’est facile car nous sommes immortelles ! Nous te faisons rire à pleines dents, pleurer aussi le dos tourné si le drame t’effondre. Nous te taquinons, nous blaguons. Pourtant nous aimons aussi dégringoler de l’ordre établi pour chambouler ta petite vie, ou mieux, la remettre en ordre ! L’orienter plus au sud pour une chaleur du dedans bien sentie ! Nous sommes immortelles ! »

 

Prends garde au pluriel !

« Nous sommes des milliers de Burkinas ! Jamais n-voyages ne te suffiront à pourtant maîtriser qui nous sommes ! Veille à ton retour à ne surtout pas parler de nous au singulier car ce sont nos multitudes qui nous révèlent, nos foules, nos puzzles, nos questions, nos expressions ! Prends garde au pluriel ! »

 

Alex

« Tonton Kalou, c’est avec regret que je ne t’ai pas croisé cette année, mon tonton ! J’ai refusé de partir en brousse chez la yaaba, de peur que le palu ne me retombe dessus comme l’été passé. J’ai plutôt invité mon cousin Lionel à venir chez nous à Ouaga, là où je vis désormais. Ma santé est parfaite et depuis, je n'ai pas eu de crise comme celle de l'an dernier.Tu n’as donc trouvé aucun enfant chez ton logeur de Bobo, dommage, non ? Pourtant, je t’aurais sauté au cou avec joie, c’est sûr ! Tonton Palu, à l’année prochaine, promis ? »

 

La dernière gorgée de coca

« Ah bien sûr, on fait tout un pataquès repéré à propos de ma sœur aînée, la frangine Première gorgée mais moi la benjamine, pas le moindre petit mot ! Pas la moindre petite ligne même dans une chronique de fin ! J’étais pourtant si bien apprêtée chez Tantie Blandine, restau ouagalais où les « viandes sauvages », roussettes (oui des chauves-souris bouillies, l’horreur), biche ou phacochère, bref tous gibiers du moment sont prêts à la traditionnelle et acclamée dévoration ! Réfugié derrière un riz soumbala quelconque, le tonton Koka Kalou, tu as bien su te réconforter grâce à moi, non ? Ah certes, tu as peu mangé mais ce coca-cola-là, tu l’as bu ! Bouteille presque glacée, le breuvage avait allure de granité. J’aurais pu – j’en rêve- être la « 1ère bouchée de coca » mais hélas, le soleil tenace et pachydermique ce midi-là m’a cantonnée à mon rôle habituel mais pas négligeable ! Je demande à être considérée, c’est dit ! »

 

La rencontre

« La rencontre, c’est l’élément contingent, hasardeux dans l’existence. Quelque chose nous arrive que rien dans les repères que nous avions dans le monde ne rendait nécessaire ou probable.

Nous rencontrons quelqu’un que nous ne connaissions pas et qui cependant nous frappe, nous attire dans notre vie. Une rencontre véritable peut toujours devenir le début d’une possible aventure. Mais on ne peut réclamer un contrat d’assurance avec celui qui a été rencontré. Si on tente de réduire cette insécurité on supprime la rencontre elle-même, c’est-à-dire l’acceptation que quelqu’un entre dans notre vie, et quelqu’un au complet.

Pour cela il faut une grande disponibilité à l’accueil, donc un rapport fondamental de confiance. Et plutôt bizarrement, une faculté passive, une sorte de vertu : celle d’accepter que quelque chose arrive que l’on n’avait pas prévu.

Or notre époque ne va pas dans ce sens : d’un côté l’espace de la rencontre possible s’agrandit à cause des moyens de transport et de communication ; de l’autre, cet élargissement se paie d’une « désintensification ». On introduit partout un système de précaution : je prends quelqu’un de suffisamment semblable à moi pour espérer faire un chemin avec cette personne tout en restant exactement ce que je suis !

C’est la tendance de notre monde contemporain d’introduire une fausse variété à l’intérieur d’une grande permanence… en fait, ces rencontres sont des consommations. Or, la consommation est répétitive par essence, alors que la rencontre se distingue par l’improbabilité et l’acceptation de ce qui arrive ; il nous faut accepter que se produise dans l’existence des choses qui ne sont ni calculables ni expérimentées ; c’est-à-dire que quelque chose arrive… »

Alain Badiou (extrait d’un interview Télérama août 2010)

 

A chaque  venue au Burkina quelque chose arrive, un être  inédit  et forcément exceptionnel  vient à moi ! je dois pourtant bien le reconnaître : quelle chance ! A très vite !

 

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