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13 juillet 2012 5 13 /07 /juillet /2012 13:34

Imaginez la chance absolue : hier j’ai pu croiser quelques heures la trajectoire d’un artiste burkinabè, Issouf Diéro, dont d’aucuns ont pu admirer le travail artistique (sculptures et peintures) lors de la splendide exposition à Cosmopolis à Nantes en mai juin dernier.

Un ami commun, notre Gérard Sanou national -petit frère d’exception !- nous met vite en contact et hier je passe l’après-midi avec lui !

Notre première escale est au CCF André Malraux là où Issouf a deux oeuvres monumentales exposées dans le jardin : un imposant éléphant en pneu et un calao majestueux en bidons.

Nous poursuivons notre route dans Bobo, ma moto danse entre les nids de poule et les flaques d’eau. Dans le quartier d’Accart-Ville nous faisons un halte émue à un petit étal de « collage de pneus » là où, enfant, Issouf  a réparé les chambres à air en collant rustine sur rustine et a commencé à mettre de côté tout ce qui allait partir à la déchetterie pour en concevoir des petites sculptures, un besoin impérieux et précoce de créer !


L’ethnie dont est issu Issoufce sont les Dafi ; ce sont eux qui collent les pneus, ils sont repérés Rois du pneu par tout le monde. Le pneu, le caoutchouc, les chambres à air sont leur univers que personne ne leur conteste, ils collent, ils réparent, ils restaurent. Ce n’est donc pas étonnant qu’Issouf ne puisse que rendre hommage à son ethnie à travers ses créations. Il est pneu lui-même !

Dans la cour familiale, je rencontre la maman, le papa, les tantes et un petit nuage d’enfants adorables. C’est une vaste cour avec de l’ombre car des arbres y poussent, chose courante à Bobo. Dans un coin, le stock de récupération, qui patiente longuement avant de servir d’inspiration à l’artiste. Les muses n’ont pas toujours l’habit qu’on croit.

En face, le « laboratoire » là où Issouf crée. Un préau spacieux délimité par des murs sur lesquels sont accrochées d’anciennes œuvres et d’autres plus récentes qui « marquent le chemin parcouru » me dit Issouf. Le peuple d’œuvres se dresse et nous regarde là comme une famille essentielle qui accueille un cousin lointain ou méconnu.

Ces sculptures partent donc de matériaux de récupération (un bidon, une cuillère de bois, un pédalier,…) puis tout respire grâce au caoutchouc qui vit littéralement : on perçoit dans l’inerte que les robes s’enflent, les jambes se musclent, les torses vibrent, les yeux sont perçants…

La dernière série de créations donne dans le tableau de parfois grande taille, il faut palabrer sur chaque car le propos est  très engagé, investi et argumenté. Issouf a des choses à dire, ses tableaux l’expriment avec force et talent, c’est de l’ordre d’une évidence sereine qui tisse de magnifiqueschemins entre traditions et modernité. Il expose déjà beaucoup en Europe mais rien ne semble lui monter à la tête, sa simplicité et sa modestie très burkinabè saisissent et séduisent ! Nous refaisons le monde en parcourant la galerie improvisée. Nous visitons les sujets graves d’actualité et au Burkina cerné entre la Côte d’Ivoire qui peine à cimenter sa réconciliation après tant d’années de guerre civile et le fragile Niger, c’est le Mali tombé entre les mains de fous de Dieu sanguinaires et surarmés qui préoccupe beaucoup ! Les images reçues ici sont effroyables de mausolées saccagés, de jeunes adultes lapidés pour « flirt hors mariage », d’enfants de dix ans enrôlés de force avec lavage de cerveau pour accepter de mourir en héros martyr. Issouf et Gérard sont clairement engagés dans un combat pour une humanité éclairée, leurs paroles résonnent en moi avec insistance comme sœurs à mes propres paroles, irriguées par des choix éthiques identiques.

En France, nous avions familialement acheté deux œuvres, une statuette au titre évocateur « Hé, toi ! » pour ma maman et un tableau « Traces de vies » pour chez nous. Ici, sur place, il s’opère une magie assez inédite quand Issouf installe sa dernière série dehors. Le ciel la joue menaçant mais sans pluie imminente. Il flotte dans l’air une délicieuse sensation de plénitude et d’amour.

Un tableau immaculé me saisit alors avec au centre sa silhouette noire de pneu vivace et digne. Un blanc épais et profond et ce caoutchouc vivant qui dessine un être humain… Issouf étonnamment me parle, à travers cette œuvre, "Le Bonheur de l'Homme", de personne guérie, de dignité dans le soin, de sœur et de frères, de résistance, d’amour : la vie qui vainc et convainc !

GEDC0373

Je tourne je rôde je m’écarte je reviens j’y retourne.

Nous passons  au « salon-chambre » personnel d’Issouf où il nous entretient de ses projets, c’est un homme-ruche lui aussi ! Il est en train de concevoir un spectacle total où musicien-chanteur à la kora, danseur contemporain (Gérard !!!) et plasticiens (Issouf et Ibrahim) créeront en direct autour de textes somptueux qu’Issouf a écrits. Nous voyons une vidéo prometteuse de répétition qui a fini de convaincre les bailleurs de fonds et le CCF de Bobo.

Je ressors et l’Humanité en marche m’attend encore, elle me tend les bras, placide. Les nuages ont fui, le bleu est d’azur. En tête alors mille connections s’agitent et s’affirment puis très vite, l’affaire est close, je propose d’acquérir ce tableau sur-le-champ et je sais à qui nous l’offrirons ! Je repars sur ma petite moto l’âme légère et dense à la fois.

 

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