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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 15:14

Il est là, tout potelé et poupin. On l’a endimanché pour la cérémonie, presque engoncé dans son complet (même tissu pour le pantalon et la chemise) moulant. Un imprimé louant le seigneur ou célébrant tel anniversaire de telle paroisse, immortalise souvent le bazin. « Non à l’excision, Cessons les violences faites aux femmes, Journée Internationale de l’Eau, Jamais sans mon arbre » tels sont certains slogans aperçus sur des popotins rebondis, des poitrines généreuses ou des replis de pagne en guise de coiffure… Pour l’heure, le bazin du petit est sobre et uni d’un bleu du ciel rutilant. Il a patienté courageusement durant la messe en son honneur (il est baptisé catholique) et le voilà trônant sur les genoux de sa maman, fruit de ses en-trailles, miracle sur petites jambes dodues !

Quand l’amoureux fou a appris le statut de sérologie de sa douce, non seulement il n’a ni fui ni rompu – ce qui est fréquemment le cas dans les « flirts » sérieux- mais il a continué de caresser l’espoir presque insensé de fonder avec elle une famille, oui ! Oui, d’avoir des enfants ! Oui, plusieurs ! Non, le VIH ne fera pas sa loi ! Il n’était pas, il y a quelques années toutes proches, question de la transmission mère-enfant encas de présence du VIH Sida puis la recherche a suivi son chemin de patience et de ténacité. Et ces jeunes mariés à force de caresses donc et d’optimisme ont réussi à donner naissance à un très joli bébé tout ce qu’il y a de plus…. séronégatif !

Imaginez la puissance du symbole : la vie vainc et convainc ! La maman est chaque jour belle dans sa plénitude de maman décuplée par son choix farouche de n’évidemment rien transmettre à son fils ; je n’ai pas été dans les secrets de sage-femme pour l’accouchement délicat à réussir dans ce cas d’espèce mais le bébé est là ! En bonne santé ! Soulevant, par son sourire permanent, mille montagnes et autres noirceurs de préjugés, pied de nez radical contre lequel nul ne sait résister…

Passée l’euphorie du victorieux accouchement, la petite famille s’est em-ployée dès lors à n’être qu’une petite famille lambda à chercher au jour le jour à conquérir un bonheur mérité. Le bébé insouciant croît, les parents croient, l’un musulman l’autre chrétienne (quel couple inédit, aucune famille n’a imposé à l’autre de conversion) il y a l’idée de ce bonheur-chemin, ce pas à pas déterminé s’offrant rires et plaisirs à bien des escales, les visites chez le pédiatre qui se succèdent banalement dirait-on et font oublier que la route de la maman, elle, est semée d’orties, de ruptures de stock d’un ou plusieurs antirétroviraux, d’analyses en labo essentielles mais toujours plus coûteuses. Quand les destins s’en mêlent, la vie vainc ! Les luttes inégales ont des issues surprenantes car au Burkina, on combat, on débat, on en abat, on se bat. Cette énergie-là t’empoigne souvent durant ton séjour pour peu que tu y sois attentif. Elle est le ciment invincible, socle de mille bâtisses, l’air victorieux qu’on respire à pleines bouches, la sensation flagrante que rien n’est vain. Ubuntu, je suis parce que nous sommes ! Akim-Roméo puisque ce sont ses prénoms, Akim-Roméo, bienvenue parmi nous !

Quelques jours auparavant, à l’association REVS+ qui est mon quartier général sur Bobo, un jeune et effroyable fantôme arrive péniblement du fond de l’horizon, on le croirait ivre mort tant il titube, il n’est que mort ou presque… Il n’est qu’au bord du gouffre. Dans un état de délabrement physique absolu, il n’a pas pu empêcher la faim et le VIH s’associer funestement pour tout dévaster en lui.

Sébastien, c’est son prénom, a à peine trente cinq ans, il en fait cent fois plus. Des loques immondes peinent à cacher son corps décharné, je le re-garde me regarder, il me dévore même l’âme avec ses immenses yeux lui-sants, il bredouille quelques gromelots informes, on l’assoit sur une chaise, l’odeur que son corps dégage est nauséabonde de crasse et d’excrément, mais pourtant un bol de soupe apparaît. L’homme le lape avec difficulté mais le bol se vide néanmoins. Une poignée de riz gras apparaît, Sébastien le mâche à grand peine. L’Ubuntu là encore est en marche.

Aucun des maillons habituels ne semble avoir été utile pour que Sébastien soit vite repéré et admis 21 jours en « maison d’observance » (les personnes touchées par le VIH signalées comme ayant des difficultés à suivre leur traitement sont remises à flot, conseillées et suivies pendant trois semaines à REVS+) A ce jour, égaré affamé déshydraté cassé avili, le voilà prêt de ses lèvres sèches à embrasser la mort. Mais cinq kilomètres à pied plus tard (tout le monde à l’association se demande quel exploit il a pu accomplir pour venir ainsi de chez lui) son ubuntu l’a porté jusqu’ici ! Tout se met alors enfin en branle pour que sa dernière heure soit repoussée sine die à une date ultérieure ! Lavages, remise en état d’humain, perfusions… Sébastien fêtera son 35ème anniversaire !

« Je suis parce que nous sommes »

Le petit Akim-Roméo aussi a pu trouver sa source dans un joli « nous » douillet et aimant. La foule des grands jours ce dimanche s’apprête à célébrer le dit garçon ! Familles bien sûr et ami-e-s du quartier et de REVS+, pour rien au monde, personne n’aurait manqué ce rendez-vous ! Le dolo coule au fond des gosiers, les plateaux de crudités si essentielles pour une alimentation équilibrée, les gamelles de riz, les plats de tô, leurs sauces feuilles baobab ou oseille ou arachide, rien ne manque pour que la fête soit réussie ! De cet amour-là partagé, aucun tarissement, aucune pénurie, c’est notre aliment abondant et commun à toutes et à tous : bon appétit !

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